Vers un islam sécuritaire en Europe

Amin Zaoui

Amin Zaoui

Les érudits sont morts. L’un après l’autre, ils se sont retirés du champ du verbe, de la vie et des idées. En l’espace de moins de sept ans, les détenteurs du discours savant, convaincant et courageux autour de la question religieuse, un après l’autre, sont partis.
D’abord, Mohamed Arkoune, le fils de Taourirt Mimoune, est décédé le 14 septembre 2010, enterré au Maroc, dans un cimetière de Rabat. Il fut un brillant islamologue humaniste. L’homme des grands débats, la voix de la rationalité, il plaidait pour l’autorité de la raison. Chose absente ou bannie dans le monde arabo-musulman. Dans ses écrits et ses débats, Arkoune n’a cessé de nous signaler que les musulmans et les Arabes se sont éloignés de la raison et de el Ijtihad depuis l’ère du mouvement d’el Mouâtazila. Sa mort a laissé un grand vide en Europe menacée par l’intégrisme et le terrorisme islamique et dans le monde musulman en décadence et en chute libre.
Puis la perte du chercheur tunisien Abdelwahab Meddeb, décédé le 05 novembre 2014. Un intellectuel raffiné, passionné des belles lettres, de la poésie, et hanté par la culture de la spiritualité. Si Mohamed Arkoune appelait haut et fort au retour, et en urgence, à la rationalité dans la vie des musulmans, de son côté Abdelwahab Meddeb creusait minutieusement dans les trésors de la spiritualité. Cette dernière s’est trouvée chassée par l’islam politique créé et défendu par les frères musulmans depuis les années vingt du siècle dernier. La spiritualité n’est que l’autre face de la rationalité. Elles ne sont ni contradictoires ni ennemies. Dans l’Histoire musulmane, les grands intellectuels soufis, à l’image des philosophes de la rationalité étaient souvent excommuniés, chassés ou assassinés. Pour Abdelwaheb Maddeb, l’islam est malade à cause de l’absence de la spiritualité, de la culture soufie qui conduit l’être humain à la liberté individuelle et à un amour humain pour un Dieu commun.
Prématurément, le 12 novembre 2016, un autre visage actif et unique est parti, il s’appelle Malek Chebel (1953-2016). Il a baissé son sourire, rendu le tablier et s’est éclipsé. Avec ses titres bien réfléchis et ses idées toujours fraîches, autour de l’islam, il fut le séducteur. Malek Chebel, loin de tout exotisme intellectuel, creusait dans le désir dans la civilisation islamique et chez les musulmans. Le corps, les femmes, l’amour, les Mille et Une Nuits, sont ses sujets les plus préférés à Malek Chebel.
Le 24 mai 2017, une autre figure irremplaçable dans la pensée critique islamique, dans le silence total, comme sur la pointe des pieds Ali Merad nous a quittés. Peu de lecteurs le connaissent. Il fut une personnalité discrète, mais qui, dans ses recherches touche aux problèmes brûlants de l’islam. Depuis son ouvrage sur le réformisme musulman, il n’a cessé de prêcher pour les dialogues des religions et des cultures.
En l’espace de moins de sept ans, la scène philosophico-culturelle a perdu quatre de ses meilleurs acteurs.
Sans concertation supposée, ni accord anticipé, sur les plateaux de télévision, dans les amphithéâtres des universités, dans les tribunes des colloques et séminaires, ces érudits se sont trouvés partager les rôles intellectuels autour de la question de l’islam: Arkoune pour la raison, Meddeb pour la spiritualité, Chebel pour le désir, et Merad pour les dialogues des religions.
Une fois que les érudits sont morts, l’espace culturel islamique a été envahi par les provocateurs idéologues et les commentateurs des JT.
En Europe, les nouvelles voix philosophiques qui interpellent l’islam sont de plus en plus rares. Le phénomène de l’islam politique traîne avec lui, en lui, autour de lui, des voix des commentateurs et pas celles des penseurs ou analystes savants. La réalité politiquement agitée mise sur le sécuritaire avant le savoir. Le mal réside dans les racines et non pas dans l’apparence événementielle!
Le discours autour de l’islam en Europe d’aujourd’hui, comme dans le monde arabo-musulman, après le départ des quatre érudits, se trouve partagé entre les prédicateurs, les responsables de sécurité et les agitateurs politiques.

Amin Zaoui

Illustration haut de page : Abdelwahab Meddeb