Ramadhan et l’église des anglicans

L’objet de ce propos, n’a aucun rapport – hormis le nom – avec le mois de Ramadhan, mois du jeûne qui imprègne cycliquement au cours de cette période de l’année lunaire, la vie spirituelle et quotidienne des musulmans, Ramadhan dont il s’agit ici, ou Romdhân tel que prononcé en dialectal tunisien, fut un important homme de pouvoir qui avait exercé la charge beylicale dans la régence de Tunis de 1591 jusqu’à 1613.
A cette époque, la fonction du bey consistait à diriger les deux expéditions militaires annuelles connues sous le nom de « m’halla ». La m’halla d’hiver et celle de l’été avaient pour principales tâches la levée des impôts à travers le pays et le contrôle de l’administration territoriale. Elles veillaient du même coup à la pacification des tribus et des régions de l’intérieur, afin d’assurer leur soumission au pouvoir central de Tunis.
Grâce à sa forte personnalité et à ses qualités de commandement exceptionnelles, Romdhân Bey contribua notablement, non seulement à instaurer le calme et une certaine prospérité dans le pays, mais aussi à renforcer la position des beys au sein d’un système de pouvoir, qui était basé à cette époque, sur un équilibre subtil, mais fluctuant, entre l’autorité des deys d’un côté, et celle des beys de l’autre.
Cela dit, je dois dire que ce qui a éveillé fortement ma curiosité envers ce personnage, c’est moins la carrière politique brillante qu’il avait connu, que des côtés de sa vie personnelle qui m’ont paru singuliers, significatifs, voire instructifs.
D’après l’historien et chroniqueur tunisien Al Wazir Al Sarraj ( 1659-1735), le père de Romdhân bey est un janissaire – armateur turc d’Alger du nom de Hussein, qui pratiquait la course en ce moment très répandue, contre les bateaux des pays chrétiens.

Lors de l’une de ses expéditions, il captiva une jeune chrétienne d’Italie, qui voyageait par mer afin de rejoindre le mari qu’elle devait épouser.
Installé à Tunis, Hussein ne tarda pas à épouser sa belle captive après l’avoir affranchie, sans la forcer pour autant, à se convertir à l’Islam. Quelques années plus tard, il eut d’elle son fils Romdhân, qui s’élèvera au bout d’une carrière réussie au titre de bey de Tunis.
Après la mort de Hussein, la veuve demeurée chrétienne, pria son fils Romdhân devenu entre-temps bey puissant, de lui accorder l’autorisation de retourner dans son pays natal, afin d’épouser le fiancé italien, auquel elle était promise en mariage avant sa capture.

N’ayant pas réussi à la convaincre de se convertir à l’Islam ou de rester auprès de lui à Tunis, Romdhân bey résigné acquiesça à sa demande de partir et arrangea même son voyage vers l’Italie. Elle retrouva ainsi en plus de son premier pays, son premier fiancé, l’épousa et eut de lui un enfant.

Le sort avait voulu que son second mari meure à son tour quelque temps après. La mère devenue veuve pour la deuxième fois, sollicita de nouveau la bienveillance de son fils Romdhân bey, pour la ramener de nouveau à Tunis, où elle s’installa convenablement et passa le restant de sa vie, tout en gardant sa religion d’origine.
Après sa mort et par amour envers sa mère défunte et respect à ce qu’elle fut, Romdhân bey, éleva à sa mémoire à Tunis tout près des remparts, face à la porte aujourd’hui disparue de Bab Cartagenna, une église réservée au culte protestant. Religion qu’avait professé sa mère durant sa vie ; et c’est à l’intérieur de son enceinte qu’elle fut inhumée.
Cette église édifiée par un prince musulman en pays d’islam, a permis aux chrétiens protestants, de pratiquer depuis plus de quatre siècles, leur culte en toute liberté. Elle fut même agrandie par Ahmed bey au milieu du XIXème siècle avant d’être reconstruite sous sa forme actuelle vers 1901.
Il s’agit précisément de l’église protestante anglicane Saint Georges qu’on peut voir encore au milieu de la rue Monji Slim en plein cœur de la capitale .

Gérée depuis par l’ambassade de Grande Bretagne à Tunis, l’église Saint Georges ne cesse d’être fréquentée tous les dimanches par un grand nombre de fidèles parmi les protestants anglicans résidant en Tunisie, issus de toutes provenances.
Combien parmi eux savent-ils que leur lieu de prière et de piété, fut à l’origine et avant tout, un témoignage d’amour familial et un geste de tolérance, qu’un bey tunisien musulman avait consenti à sa mère?

Boubaker Ben Fraj 

Illustration prise sue la page officielle Facebook de l’Eglise Saint Gearges