Que l’on me donne juste l’envie de vivre bien une fois !

La Foire du livre dans sa 34e édition ! Alléchée comme le renard de La Fontaine même si je m’approvisionne durant toute l’année en livres , Al-Kitab et Culturel reconnaissant ma bouille farfouillant entre les rayons , la foire constitue depuis toujours une sorte de tradition culturelle incontournable ! Et celle-ci promettait énormément d’après les rumeurs . Son slogan n’est-il pas vachement tentateur ( je ne devrais pas employer  » vachement « . Pas élégant pour parler de l’objet de mon désir ! ) ?  » Lire pour vivre deux fois  » ( mes contorsions spirituelles pour comprendre ce slogan n’ont donné qu’un terrible mal de crâne ! J’ai tellement lu que je vivrais mille ans , mais bon ! ) Et la femme tunisienne , son thème principal !  » La réflexion sur la cause féminine comme un sujet central dans le développement de la société tunisienne  » , selon le directeur général de la foire . Sujet tellement rabâché ! Passons. .. Et des prix à gogo : celui de  » Taoufik Baccar  » ;  » Fatma Haddad  » , sans compter ceux de  » Ali Douagi  » ou  » Tahar Haddad  » et des hommages à la mémoire de Raja Ben Ammar et Mohamed Talbi . Et des vivants dont les nôtres , Youssef Seddik , Mahmoud Tarchouna ! 775 éditeurs dont 126 tunisiens ! 259 exposants dont 111 tunisiens ! 80 activités culturelles et , cerise andrinople , une compétition  » On lit pour être plus belles  » pour les jeunes filles de 14 à 18 ans  » ! Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer pareille insanité ? Sûrement pas Charlemagne ! Lire pour devenir plus belle ! Les nikabées que j’ai vues pour titiller la libido des barbus en qamis que j’ai vus ?

J’ai boudé la foire du livre de 2012 à 2015 ! Trop d’encens , trop de barbes à en fabriquer des lianes dont ne voudraient pas les Pygmées Mbuti , trop de fanfreluches comme dans les souks ! J’ai récupéré le pouvoir curatif du livre les deux dernières années . Ô bonheur ! Dans ses pensées diverses , Montesquieu écrivait :  » Je n’ai jamais eu de si grand chagrin qu’une heure de lecture n’ait dispersé  » ou encore :  » Aimer lire , c’est faire en échange des heures d’ennui contre des heures délicieuses. « 
D’où me vient donc ce pincement au coeur , cette année ? Cette désillusion ? La vue des nikabées et du qamis afghan ? L’ambiance tristounette en dépit du haut-parleur annonçant des dédicaces ? L’appréhension au fond de moi de ce stand syrien , fermé depuis , où se vendait un livre destiné aux enfants et faisant l’apologie du terrorisme , images d’horreur à l’appui ( Comment a-t-il pu échapper à la vigilance des responsables ? ) ? Tous ces papiers par terre ? Et toujours cette morosité qui me poursuit ! Ai-je choisi le mauvais jour ? Ce temps maussade ? Ai-je raté des rendez-vous avec des écrivains dont la notoriété n’est plus à faire ? Mon humeur qui n’est plus joyeuse depuis des années en dépit de mes fanfaronnades ? Mon quotidien délétère ? Toutes ces choses qui n’existaient pas ou si peu , tels ces mines déglinguées ou ces laisser-aller et faire ? Cette peur et ces menaces que diffusent nos ennemis obscurantistes à la veille des Municipales et tous leurs millions et leurs cadeaux faits aux riches et aux pauvres ? Toutes ces hésitations et toutes ces mains sans poigne au sommet ?
 » Lire pour vivre deux fois  » ? Que l’on me donne juste l’envie de vivre foutument bien une fois !

Mounira Aouadi