Naples e(s)t un état d’esprit qui interpelle

Mansour Mhenni

Mansour M’henni

Ma première visite à Naples (Italie) est tardive certes, mais il n’est jamais trop tard pour essayer de connaître. La ville a de ces beautés, de cette affection hospitalière et de cette richesse culturelle, ce dont on a certainement beaucoup en partage, mais tout cela y prend un air d’exception.

Les Napolitaines et les Napolitains que j’ai connus sont d’une générosité intellectuelle se traduisant d’abord par une fierté d’appartenance à leur ville, à son histoire, ouverte sur le présent et sur l’avenir, à la manière de la grande baie de Naples et de l’échelle des perspectives qu’elle offre sur ses pans et sur ses environs, pour faire valoir la relativité des regards et la richesse à fouiller dans la cohérence de leur variété. Ainsi, la première mission dont un Napolitain se considère tributaire est celle de faire découvrir au visiteur les aspects divers de la richesse culturelle et de la beauté naturelle de sa ville, en les inscrivant dans la beauté qui pare le site.

Il y a certes parfois, en sous-entendu ou par insinuation, l’évocation tamisée des accidents de la nature et des méfaits d’une catégorie humaine appliquée à pointer le poignard du profit dans le cœur de l’esprit de communauté humaine. Mais cette sorte de bruit dans la communication, restant presque toujours en sourdine, n’ôte rien à l’expansion joviale, à la mobilisation active, à la disponibilité accueillante qui font que, contre toute inadvertance, on ne peut que conclure : « il fait bon vivre à Naples et on serait heureux d’y revenir ».

Mais au-delà de ces impressions touristiques, je me sens redevable de quelques observations sur l’enseignement et la recherche, puisque tels étaient l’objet de ma visite. Ce n’est pourtant pas le système que je prétendrais juger ni le niveau que je me hasarderais à évaluer ! Tout juste un état d’esprit qui m’a interpelé et dont le secteur me semble pouvoir en profiter.

Il y a à Naples, comme dans d’autres universités italiennes, des sections de lettres et sciences humaines, sous l’étiquette linguistique, et cela me paraît intelligent. On le perçoit surtout à l’implication réciproque des spécialistes d’un domaine de recherche dans celui des autres, ouvrant celle-ci à cette interdisciplinarité inévitable par les temps qui courent et combien fructueuse pour une intelligence aspirant à la liberté et à la créativité.

Je me souviens qu’un jour, il y a longtemps, je répondais à la question d’un ami à ce propos que si j’étais ministre de l’enseignement, j’imposerais l’enseignement de la logique et de la linguistique dans les spécialités scientifiques et que j’enseignerais les mathématiques et les sciences numériques dans les spécialités des humanités. Je n’ai aucune aspiration ministérielle, mais une telle démarche me semble mériter au moins d’être cogitée.

J’ai travaillé avec les amis italiens, dans un cadre doctoral, sur un champ de recherche et un concept que j’ai eu l’audace d’initier au terme d’un demi-siècle de travail dans le domaine. J’ai trouvé à leurs côtés une humilité frappante comme il devait y en avoir chez tous les scientifiques authentiques et les chercheurs affirmés. Mais le plus intéressant, c’est cet esprit conversationnel qui préside à leurs interactions pédagogiques. Dans le plus grand respect que tout le monde a pour tout le monde et pour chacun, c’est une forme d’amitié saine qui m’a paru parfumer leur collaboration et la négociation réciproque de leur savoir en épanouissement continu.

Puis, c’est le sens de l’organisation, avec une parfaite répartition des tâches et un engagement de chacun avec son sens du don et non un quelconque calcul de l’intérêt personnel ou du profit biaisé. Le sens pratique aussi : à peine une proposition avancée est-elle jugée pertinente que l’on se concentre déjà sur la façon de lui donner le plus d’impact et d’en faire profiter le plus de collègues ou de camarades concernés.

Peut-on repenser une pédagogie ou les règles de la quête de la connaissance sur de telles impressions ? Peut-être pas. N’empêche qu’il est de bon conseil de s’y attarder un peu et de se demander si l’on peut y trouver une raison de s’interroger sur notre insatiable besoin de nous améliorer, tant que d’autres considérations de basses besognes ne précipitent pas notre cécité.

Mansour M’henni