Les « Frères musulmans » sont-ils des Mouslims au sens Ontothéologique?

Mohamed Hafayed

Depuis, Martin Heidegger, Léo Strauss et Emmanuel Levinas, les Prêtres chrétiens et les Rabbins juifs qui font autorité, aujourd’hui, sont des docteurs en philosophie, les sciences de l’histoire, de la philologie et de l’anthropologie jusqu’ aux recherches scientifiques. Le Pape François s’intéresse à la théorie du Big Bang et ne la rejette pas. Les guerres contre l’Union soviétique en Afghanistan, les guerres en Bosnie pour détruire l’ex-Yougoslavie du Maréchal Tito, l’Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen … sont des guerres réfléchies et pensées froidement dans le silence des retraites dans les châteaux et des Couvents.

Au nom de la solidarité et l’amour pour l’autre biblique, le Commandement :« tu ne commettras pas de meurtre » a fait l’objet d’une nouvelle lecture.Revisité après un siècle des travaux des fondations de recherches philosophiques, des essais, des thèses de doctorat, pour devenir un concept d’éthique politique, une sorte de « responsabilité radicale pour autrui » théorisée et baptisée « Ingérence Humanitaire » un nouveau concept droit-de-l’hommisme qui a séduit même la gauche Maoïste française( Benny Lévy , BHL, Finkielkraut…) et tunisienne (L’alliance du 18 octobre 2005 de Chebbi à Hammmi). Ce que j’appelle l’Amour Nihiliste.

Le mouvement des frères musulmans s’inscrit idéologiquement dans ce ferment philosophique des dogmes néo-monothéistes : version néoconservatrice américaine du concept idéologique de « La Guerre des Civilisations » pour Al-Qaïda, ou sa version néo-conservatrice française de « l’Ingérence Humanitaire » qui avait commencé avec les tentacules d’Al-Qaïda, pour prendre forme avec l’état fantôme de Daech. Certains intellectuels musulmans, autorisés et font autorité à ce titre, soutiennent encore que « le projet Califat des frères musulmans était relativement autonome et même anti- américain ». Je réponds que si le projet du Califat était autonome Ethniquement, arabo-musulman et politiquement anti-américain, que s’il était de cette blessure narcissique que va naître le néo-fondamentalisme à la source de l’islamisme politique, qui prétend faire revenir à la pureté de l’Islam qui serait perverti par l’occident, il ne l’était pas théologiquement, ni philosophiquement ni idéologiquement, ni même au niveau du concept de la Jâhilyya préislamique. La nouvelle Jâhilyya devient caractérisée par « le matérialisme profane de notre siècle »occidentalisé, comme un moment de crise, d’une tension existentiale nihiliste et apocalyptique. Les références des frères musulmans sont étrangères à la tradition islamique la plus conservatrice d’un d’Ibn Taymiyya et d’un Abu Hamed Al Ghazali. La référence à Ibn Taymyya ou à Ghazali est une imposture des Cheiks frères musulmans porteurs du projet Califat : Ibn Taymyya récusait comme blasphème l’idée que l’homme puisse être “lieutenant de Dieu lui-même”. Contre Al-Tabarî qui promeut cette interprétation de khalîfatou Allah, Ibn Tâymyya s’insurge littéralement au nom de l’absoluité de la transcendance divine, écrivant que « Dieu ne peut pas avoir de lieutenant » et que « personne ne peut prendre sa place parce que personne ne lui est égal » contre la doxa officielle de Al-Tabarî qui voulait être la première autorité exégétique à valider le Califat politique abbasside( A Bīdar). Nul doute quant à l’inconciliable position des frères musulmans avec le génie d’un Abû Hamid Mohammed ibn Mohammed al-Ghazali qui pensant et agissant en pur ascharite: il reconnait que la nature (fitra) de l’homme lui fait naturellement reconnaître son créateur. C’est vrai il ajoute qu’il faut la chiquenaude supplémentaire de la révélation. Pour Abû Hamid al-Ghazali, la raison intervient à posteriori pour constater qu’on ne peut distinguer le dieu des prophètes et le créateur du monde, une sorte de “phénoménologie” théologique moderne héritée de l’école Husserlienne.

Il existe indéniablement une Dichotomie ontologique dans les soubassements idéologiques des frères musulmans.
Une clarification historique et idéologique sur le concept du Califat s’impose.

**Deux vagues : Entre la deuxième moitié du XIX siècle et la première moitié du deuxième siècle, il y a eu deux vagues des intellectuels et étudiants issus des classes aisées arabes et musulmans. Les premiers étaient entre fascination par l’Occident comme une curiosité d’une modernité triomphante et agressive par le fait de la colonisation: 1- La génération rationaliste de Jamal Al Dîn Alafghani : C’était le mouvement Nahda Arabe et musulmane naissante au XIX siècle, une prise de conscience : « la seule résistance à long terme est l’intégration de la modernité européenne, « une appropriation résistante de la modernité ». Jamal Al Dîn Alafghani était un rationaliste pour qui les preuves de la géométrie et les arguments de la philosophie ne peuvent être considérés que comme évidences premières. 2- La génération fondatrice des frères musulmans : La deuxième vague se trouvait autour « des auteurs allemands du début de siècle (20ème) eurent une grande influence sur l’idéologie islamiste en gestation ». « Ahmad FARID formé dans l’université d’Heidelberg et à la Sorbonne, doit beaucoup à la pensée antimoderne de Martin Heidegger. Particulièrement à la série des conférences de 1949 dans lesquelles Heidegger décrit « l’assombrissement du monde, la « triste frénésie technologique » ou Ernest Jünger. Saoudiens, égyptiens ou yéménites font appel aux grandes voix occidentales telle que Bergson, Nietzsche, Spengler, ou même Schiller » (Rapaël Liogier).

**Un nouveau concept de la Jâhilyya est né : La pensée occidentale anti moderniste des Nazis, est traduite en une pensée anti- Jâhilyya : le musulman des temps modernes serait atteint d’un « cancer culturel » est un individu indiffèrent à toute chose, qui fréquente les mosquées comme s’il sortait pour assister à un match de foot. C’est un parasite efféminé et un consommateur exalté de produits manufacturés. Un homme déraciné, pur produit de l’Occidentalisation, serait la version moderne de l’idolâtrie antique.(la même propagande Nazi). Alors que le concept de la Jâhilyya dans la période préislamique avait un autre sens. La Jâhilyya était l’ère de l’ignorance durant laquelle ils adoraient des faux dieux, des idoles. La nouvelle Jâhilyya moderne est pire que l’ancienne, parce qu’elle ne vient plus de l’ignorance où se trouvaient plongés les hommes avant l’avènement du prophète Mohammed (Liogier). Ce n’est plus de l’idolâtrie par ignorance mais par négation de l’existence de Dieu, de tout Absolu. Il y a la incontestablement un glissement du dogme fondamental de l’Islam de l’Unicité de DIEU dont le seul blasphème est le « Schirk », les associateurs, vers un concept anthropomorphe de l’être et de l’étant, de la phénoménologie et l’érotisme de « l’Oubli de Dieu ».

**Le sens de la modernité pour un musulman : Dans la tradition du Grand philosophe musulman Mohamed Iqbal : le musulman ne doit pas refuser la modernité. La modernité possède un sens spirituel que les musulmans doivent capter, puisque celle-ci n’a été possible que selon ce que Dieu a voulu. Les frères musulmans, en ne liant plus idéal et réel, c’est-à-dire en ne captant plus dans l’évolution historique même la vérité telle que révélée par Dieu, et donc en ayant cessé d’interpréter les signes de Dieu pour ne « reconnaître (que) dans ce qui a été conservé pieusement de la « tradition » à travers les siècles » les frères musulmans ne sont plus des « Mouslims » au sens de la philosophie de l’histoire de l’Islam.

**« L’Oubli de Dieu » et la « Mort de Dieu » : Sont des concepts étrangers à l’Islam: Encore dans la tradition de Mohammad Iqbal et les travaux du philosophe musulman français A. Bidar. Dès 1905 Iqbal donne à la religion de Mohammed la tâche de se confronter à l’annonce occidentale de la  » mort de Dieu « . La voie du salut céleste est celle du bonheur terrestre peuvent être réconciliées si l’on apprend à voir Dieu comme la promesse de l’accomplissement de l’homme. En se livrant à une relecture approfondie de l’œuvre d’Iqbal, A. Bidar met au jour un nouvel humanisme, une sagesse universelle qui doit permettre à l’homme de demain de se réapproprier la puissance anciennement dévolue. Le Dieu du Coran est en réalité la description de l’homme lui-même dans sa perfection, ce qu’il nomme « l’Homme parfait ». Il prend notamment l’exemple de la sourate 112, dont il remplace le mot « Allah » par ceux de « Soi créateur ». Le Soi créateur, à force de se dilater en chaque être par un appel intérieur, deviendra Homme parfait. L’homme viserait ainsi, depuis le commencement, à se révéler à lui-même son Soi créateur.

Le concept de la mort de Dieu ou Dieu « oublié  » est un concept apocalyptique biblique, alors qu’en islam il n’existe pas d’apocalypse au sens négatif judéo-chrétien. L’Islam est l’acte créateur incessant de Dieu, « le créateur par excellence. Celui qui ne cesse de créer » (XXXV,18), celui « qui est présent en chaque nouvelle »(LV,29) ; Dieu est le « Vivant »(II,225) Il n’existe pas non plus la mort de Dieu « oublié » qui demande d’être vengé, ni la mort de l’homme. Allah a fait de chaque être humain, toute l’humanité son représentant sur terre, un « Calife ». Allah est vivant et omniprésent, Dieu c’est « être », « créer », « révéler », en d’autres termes « Réalité », « Manifestation ». Il ne peut être » voilé, ou se dérober dans la masse de la modernité, un moment de crise ontologique Heideggerienne ou apocalyptique biblique judaïque. *Allah le Sublime: La foi en islam ne se fonde pas dans “l’existant” de l’être et de l’étant de Heidegger, ni dans l’érotisme biblique du judaïsme, ni dans le particularisme des nations et des rois d’Israël ou toute substance naturante, peuple, nation état ou Califat. L’Islam est la foi du Sublime, irréductible à tout anthropomorphisme ; c’est La religion (dans le sens d’une foi) du sublime. La différence avec “l’érotisme”(Luc Marion) judaïque réside dans le rapport au particulier : dans le judaïsme, comme dans le christianisme, la particularité n’est pas supprimée, elle subsiste dans la famille dans le peuple, dans le fils de Dieu, qui forment le but de la création, or la famille et le peuple sont encore des entités naturelles. Dans l’islam le principe de la purification est poussé plus loin. Il s’est dépouillé de la particularité. La vérité de l’Un n’est pas rapportée à un peuple en particulier mais elle doit être reconnue par tous les peuples. La religion musulmane apparait comme une universalisation de la religion du sublime. L’islam est ainsi une affirmation de la raison qui s’oppose à tout particularisme politique et à toute organisation étatique nationale même religieuse déterminée. Et de ce Progrès Universaliste réside le devoir d’enseigner et de convertir les autres peuples. La sublimité de l’Un ne demeure pas à l’écart du monde réel et phénoménal, elle doit aussi se faire valoir et l’être doit apparaître dans le réel. Le philosophe allemand Hegel interprète ainsi le principe Mahométan comme : « le devoir suprême est de vivre dans cet Un absolu et d’établir le savoir de l’Un ». Les frères musulmans sont un pur produit ontothéologique de la crise de la modernité occidentale. Ils ne peuvent historiquement réaliser leur projet de Califat, ils deviennent l’outil destructeur, le bras armé de leurs maîtres idéologiques occidentaux.

« Dieu égare qui il veut et dirige qui il veut » (XVI, 93)

Par Mohamed Hafayedh , avocat Honoraire au Barreau de Paris