Le Banquier et la Culture , dialogue de sourds ?

« La BIAT a organisé une rencontre avec les médias à son siège social le 6 novembre 2018 à l’occasion de la publication de l’étude réalisée sur l’état des lieux et le potentiel des industries culturelles et créatives en Tunisie. La BIAT s’est traditionnellement dotée de moyens pour explorer et comprendre les enjeux économiques des différents secteurs économiques en Tunisie. La connaissance des différents aspects du marché local et des potentialités sectorielles lui permettent de jouer pleinement son rôle dans le développement de l’économie nationale en tant qu’acteur financier et national majeur. » lA BIAT

Il faudra aller beaucoup plus loin pour être efficace en la matière.

Ce travail a deux mérites: l’initiative en elle même est inédite et cela fait une jolie comm à la BIAT -les commentaires enthousiastes en témoignent- mais cela s’arrête là.
Les conclusions , trop généralistes, trop vagues, trop évidentes et quelquefois incompréhensibles (« Renforcer la présence des biens créatifs dans l’éducation et les médias »?), ne permettent pas d’appréhender les vrais problèmes, ni d’esquisser des solutions; ces problèmes du reste souvent différents d’un domaine à l’autre.

La Biat, important opérateur économique, pourrait être un levier important du secteur culturel, et prendre une place laissée vacante par Feu Taoufik Torjman, qui a été le premier banquier visionnaire en la matière. Mais la montagne a accouché d’une souris, et la Biat annonce comme « soutien aux producteurs de cinéma » des crédits (!) super plafonnés et une prise de participation de 50 mille dinars. Autant dire une goutte d’eau dans un budget de film.

Pourtant la Biat a déjà fait beaucoup plus et mieux en la matière, notamment en soutenant des livres importants, qui ont contribué à renforcer des éditeurs et donné une image de qualité à la banque. Elle a porté l’Art au milieu de la Cité avec des expos dans le hall de leur siège… Tout cela s’est arrêté avec le départ du DG de l’époque, Slah Ladjimi, homme de culture et d’ouverture, qui savait convaincre son board de l’importance de ce travail.

Depuis tout cela s’est arrêté et cette enquête sans moyens et trop rapide laisse un goût d’inachevé. En fait elle n’est que l’expression d’un mal national: nul ne sait que faire de la Culture; Comment faire de la Culture? Ni les politiques, ni la société civile ni les financiers, c’est le point aveugle de l’après 14 janvier.
La présentation des résultats, il y a quelques mois à l’Institut Français(?) était déjà révélatrice: les quelques opérateurs culturels présents sont restés muets et nous avons enduré de longs monologues stériles de 3 ou 4 ministres de la Culture, anciens et nouveaux, bien mal placés pour répondre à la question du jour:

est-ce rentable?

La réponse est oui. Mais il faudrait du temps, du travail, plus de volonté, et de la passion. La réponse n’est pas exprimable en courbes ou feuilles de calcul, elle est intangible et produit des bénéfices qui n’affecteront les bilans qu’indirectement, avec des résultats durables mais qui prendront du temps et demanderont une vision sur le long terme qui ne peut pas être celle d’un financier pur et dur.
Enfin la réponse est surtout qu’il est temps pour toutes nos banques, et pour tous nos grands groupes financiers de franchir résolument le pas du mécénat culturel, comme cela se fait partout ailleurs. La publication des progressions à deux chiffres de leurs bénéfices annuels ne rendent que plus intolérable leur frilosité en matière culturelle. Il y a là d’énormes opportunités de travail, de rêve et d’investissement. Et les banques auraient beaucoup à y gagner.

Karim Ben Smail

Photo prise de la page officielle Facebook de la BIAT