J’ai rencontré la grâce à Sbeïtla

J’aime Sbeïtla dont les habitants m’ont appris le sens de l’hospitalité et de la résilience. J’aime les étudiants, enseignants et le personnel de la direction de L’institut Supérieur des Etudes Appliquées en Humanités (ISEAH). La conférence sur la ‘post-narratologie’ fut telle une brise printanière, une douce mélodie.

C’est à Sbeïtla aussi que j’ai rencontré la grâce incarnée dans un prénom et un corps. Son prénom, c’est ‘Ilhem’ : la muse, l’inspiration. Sa voix gazouillait lors de son intervention. Elle a choisi de parler du phénomène du ‘suicide’, un thème rarement abordé dans les colloques. Ce qui m’a touché le plus, c’est son choix d’un poète tunisien, de Kairouan. Mes amis se souviennent de lui. Il est parti en laissant une ‘note d’adieu’ sans rage ni rancune. Il s’agit de Nidhal Ghribi, celui qui a acheté une corde et quelques cigarettes à fumer avant de dire ‘adieu’ à ses amis et au pays. Ilhem Issaoui a étudié la ‘note d’adieu’ qu’il avait partagée sur son mur fb. Elle l’a fait avec une empathie troublante épicée à la rigueur de l’analyse. L’excellence du papier a figé l’audience dans un silence béat. Suivit à la fin une ‘bouffée’ d’applaudissements. Je n’ai pas pu me retenir à courir pour l’embrasser sur le front. Ce qui a redoublé l’acuité de l’émotion fut la présence de son père, un septagénaire, qui l’avait accompagnée de Sidi Bouzid pour l’enregistrer. En voici une expérience qui réconforte. Longue vie de bonheur à Ilhem. Merci encore aux organisateurs de Sbeitla qui nous ont permis de vivre ce moment.

Pour la coïncidence, revoici le poème que j’avais écrit à la mémoire du poète, Nidhal Ghrib, qui s’est suicidé le mardi 27 Mars, 2018 :

SANS RANCUNE

La nuit tombe du vide
De mes tristes journées
La nuit semble pressée
J’allume ma cigarette
Désir du condamné
J’embrasse la bouffée
L’ultime saut m’appelle
La corde n’a rien coûté
Son nœud parfait m’interpelle
Le sol est sous mes pieds
L’au-delà me harcèle
Je ne serai pas si loin
Pour une fois, le monde
Est ami et voisin
Je quitte cette terre
Juste au-dessous d’une pierre
Prenez soin de ma mère
Ah, si vous le pouvez
Je m’éteins sans regret
Je pars, n’ai rien laissé
Aucune trace aucune
À part un corps en don
Que j’offre à la médecine.

Ne soyez point coupables
Je suis seul responsable
Aimez la vie avec passion
Passez-la aux enfants
Je dis adieu au vide
Au lot de la routine
Adieu à l’amertume
Adieu à la famine
Adieu à mes amis
Que j’aime j’ aime tant
Je quitte sans rancune
À l’âge de trente deux ans
Et quelques débris de semaines
Je quitte la vie sans haine.

Abdennebi Ben Beya