Entre nous , chez les autres…

1. Exergue : notre Mufti, leur science

En Algérie, notre amie Taous Ait Mesghat reporta récemment (24-08-2018) que le mufti de sa voisine, ‘sacrée’ mosquée, reliait les cas de choléra au retrait des musulmans de leur dieu et leur religion. Il lleur déclarait que c’est une punition divine pour les mécréants et un test pour les croyants. Je cite : ‘‘Le choléra est un châtiment de Dieu au peuple qui s’est éloigné de sa voie et qui oublie de l’invoquer à chaque pas.’’

Chez nous, les oreilles sont collées à la radio et tv, attendant l’annonce de la nouvelle année de l’hégir. Lundi ou Mardi ? Le croissant refuse de paraître pour le confirmer.

Nous ne nous occuperons pas de notre environnement insalubre, et aux dires d’une dernière découverte par un scientifique tunisien, la terre est plate. Chez eux, la technologie, la science avaient affirmé que cette dernière est ronde et que le choléra se propage dans les milieux qui souffrent d’absence d’entretien et d’hygiène.

Hier, un ami, collègue et camarade de compagnie, Professeur Tahar Labassi, évoque sur son mur (08-09-2018) la conférence internationale sur le climat qui se tiendra cette année à San Francisco du 12 au 14 Septembre. Mon ami, qui salue les ‘citoyens’ et ‘partis’ qui manifesteront pour la sauvegarde de l’environnement, se plaint de notre indifférence, et saisit les fondements qu’il lie à un anachronisme ‘époqual’. Pour eux, c’est le savoir futuriste, pour nous, c’est le regard en arrière, en quête ‘‘d’identité et de religion’’ comme si on n’en avait jamais eu, comme si on les avait perdus. Que Taous et Tahar me pardonnent de résonner ici en simple écho à leurs observations :

Chers amis,

Vos 2 articles ne m’ont pas laissé indifférent. Je vous remercie de m’avoir inspiré, et d’avoir permis ‘l’éjaculation’ suivante, incontrôlée, provoquée par le stimulus de vos textes. [NOTE : ‘éjaculer’ vient du latin classique ‘ejaculari’ qui signifie ‘‘ lancer avec force, projeter’’ ].

Chers amis,

Ce que je vais dire, à vous, à moi et à tous les autres, nous le savons trop bien. Permettez-moi de vous dire que nous ne sommes que dans l’emprunt dont on ne sait pas trop quoi faire. Et puisque nous sommes ainsi, permettez-moi d’abréagir à-la-Voltaire: moi qui suis‘‘abandonné au flux de ma plume, je barbouillerai ici inutilement du papier et vous dire des choses que vous savez mieux que moi.’’

2. EUX ET NOUS

Eux et nous sommes deux entités distinctes. Hier, nous avons cru les rattraper et même les dépasser, et aujourd’hui, on traîne à l’aveuglette dans un clair-obscur terrifiant. Nous sommes les dérivés dont ils sont l’Origine. Hier, nous les avons copiés, imités. Certains se sont dressés et se dressent pour nous dire que ce sont eux qui ont tout volé de nous, notre ibn-Rochd devint leur Averroes, notre Ibn-Sina, leur Avicenne. De Ibn-Khaldoun, ils ne nous laissent que le titre intraduit, ‘Al-Mokaddema’, comme si pour nous dire : ‘restez-y, restez où vous êtes, ce que vous êtes : vous n’êtes qu’ une simple exergue intraduisible, une introduction à l’histoire dont l’évolution est faite par et pour les autres.’

Chez eux, chaque jour, un philosophe est né, un poète, une poétesse, des romanciers et des scientifiques. Chez eux, le temps est compté en secondes. Chez nous, deux ou trois penseurs morts il y a belle lurette, font encore notre fierté, mais savons-nous que eux, ils en ont mieux profité ? Qu’avons-nous pris de leur Socrate, Platon et Aristote ? La liste est longue. Je mourrai avant de tout citer. Eux sont des curieux, des créateurs. Ils l’ont bu dans le lait, comme on dit. Ils observent, prennent note, font des hypothèses, analysent, arrivent à des synthèses, jettent ce qu’il y a à jeter, ne gardent que l’utile pour le bien de tous.

Nous, nous sommes paresseux, nés sur un coup de tête et jetés au sort de la fatalité. On attend. On consomme ce que ‘dieu a donné’. Nous oublions que ce sont eux qui nous l’offrent au prix affolant de notre dinar ‘castré’ : ‘‘Hèdha min fadhli rabbi’’ [ ‘Ceci est un don de Dieu !’] sur les USUZU et taxis et louages n’en est qu’un maigre exemple. Les meilleurs d’entre nous, nos élites, sont ceux qui les récitent sans trop déformer le discours initial, et ils sont rares, presque inexistants.

Hier, ils ont fait de l’écologie un mode ‘poétique’ sous l’égide du mouvement romantique, et nous, nous tournions en dérision ceux qui l’étaient [« 3ich bich wa lich »: sarcasmant les vers de notre poète national, Chebbi: « 3ICH BICHCHOU3OURI… »: « Vis d’émotions et pour les émotions, car ta vie et ton monde sont faits d’affects et d’émotions »] . Chez nous, aux émotions manque le ‘phallus’, la source de toute création, dirions-nous. Aujourd’hui, chez eux, le mode romantique s’est transformé en ‘théorie littéraire’ sous le nom de ‘critique écologique’ [‘Eco-criticism’]. Chez nous, on jette nos déchets dans les rues même quand, juste à côté, il y a des conteneurs porte-poubelles réservés pour ça. Chez eux, rien que les études sur l’environnement rempliraient toutes nos bibliothèques aux pages jaunes poussiéreuses.

La télévision nous offre leurs paysages enivrants. Des paradis sur terre qui nous font tant rêver. À peine note-t-on l’une de leurs merveilles qu’une autre apparaît plus captivante, plus sublime. Nous nous morfondons et devenons blasphémateurs de la fatalité. Nous nous posons des questions sur leur Dieu et le nôtre. ‘Allah Akbar’ nous surprend et nous terrifie. Le soldat, le défenseur du TOUT-PUISSANT, défonce nos foyers, le sabre à la main, et massacre nos enfants qui nous ressemblent. Nous sommes trop vieux et ne l’intéressons guère. Se venger, pour eux, c’est garder l’ennemi vivant, témoin de sa propre souffrance. Que dirait la Grand-Mère de notre ami, Professeur Ali Gannoun à propos de tout cela? Qu’en dirait notre ami, l’épatant Essoussi Kamel, et tant d’autres qui, comme moi, sont secoués par le désarroi?

Entre eux et nous, le fossé s’est creusé depuis leur moyen âge. Dieu les avait compris. Eux, ils sont pour la Lumière, et les apôtres du ‘Divin’ qui lui avaient choisi ‘l’obscurité’, se sont retirés dans leurs églises et couvents. Eux, ils ne parlent plus de ce dernier, et s’ils le font, c’est pour rappeler la terreur de l’époque, c’est pour lui dire  »plus jamais! ». Nous, nous y sommes, la tête en bas, le cul s’agitant.

Eux, ils sont dans l’avenir, et nous, nous sommes ‘passifs et passéistes’ [ yar7mik ya Mitterand! ]. Ne blâmons pas ceux qui avancent ! Dirions-nous que si nous stagnons, notre immobilisme leur incombe ?

Abdennebi Ben Beya