El Teatro, une histoire tunisienne

C’est toujours avec un plaisir renouvelé que je suis revenu à El Teatro pour l’ouverture de la saison 18-19. Cette fois-ci, avant hier 5 octobre correspondait à la 32ème année depuis sa réaction par Taoufik G Bali en 1987. J’y étais. Quelle meilleure entrée en matière que de présenter Antigone visitée et revisitée par Khawla Hadef depuis Sophocles jusqu’à Sorj Chalandon en passant par Anouilh, Cocteau et j’en passe. Antigone, personnage emblématique qui symbolise la résistance au pouvoir et la loyauté jusqu’au sacrifice. Khawla Hadef nous a présenté une Antigone de notre temps confrontée à la mécanique implacable du pouvoir et de la répression mais qui finit, en dépit ou surtout à cause de son apparente vulnérabilité, à ébranler la toute puissance de son oncle Créon, excellent au demeurant. Cette pièce devrait passer dans toutes les écoles pour faire réfléchir sur le pouvoir, l’obéissance, la résistance, la loyauté et enfin la responsabilité.

El Teatro démontre qu’il continue à faire l’événement sous la direction de la virevoltante Zeyneb Farhat à l’emballement contagieux.

Que dire de l’âme tutélaire de ce lieu. Cet iconoclaste qu’est Taoufik G Bali dont l’œuvre témoigne de son affranchissement de tout carcan conceptuel, qu’il brise allègrement allant à chacun fois là où on ne l’attend pas. Ses créations sont un anti-dote contre toutes les certitudes, les pensifs et les doxas de tous bords. Avec des mots pesés au trébuchet, il a inventé un vocabulaire qui lui est propre fait de contre sens, de détournements, de calembours et de dérision. Certains s’y sont essayé avec moins de bonheur.

Toute l’œuvre de Taoufik G Bali et surtout certaines créations que d’aucuns classeraient à tort dans un registre « léger », pose, de mon point de vue, la question fondamentale du rôle de l’art en général et du théâtre en particulier contre la barbarie, l’abus de pouvoir, les tentations liberticides, les croyances limitantes, les conventions castrantes et les conformismes.

Par ses textes, par ses silences prolongés oppressants surtout , par le jeu d’acteur désarticulé qui transforme les comédiens en pantins, par la noirceur de ses espaces scéniques, par les thèmes qu’il aborde et qui aspirent à l’universalité , il me rappelle cette figure mythique du théâtre contemporain qu’était Kantor que j’ai découvert à travers sa pièce « la classe morte » présentée au Festival d’Automne de Paris et que d’aucuns et non des moindres n’ont pas hésité à qualifier de « réinventeur du théâtre ».

Taoufik G Bali, puisses tu continuer à être une vigie en ces temps de mer houleuse et de vents contraires.

« Qu’est ce que l’artiste , s’interrogeait Bergson. C’est un homme qui voit mieux que les autres ».

Habib Karaouli