Dieu et le coronavirus

Les voies du seigneur sont décidément impénétrables. La plupart de ses fidèles, tout en priant avec ardeur pour la pauvre humanité, s’en remettent sagement à l’action très séculière des autorités civiles pour les protéger de la maladie ; les autorités religieuses constituées, chrétiennes, juives ou musulmanes, appellent toutes au civisme antivirus et font manifestement plus confiance au confinement et aux «gestes barrières» qu’aux génuflexions et aux bénédictions pour combattre le fléau. Mais il faut bien dire, toute révérence gardée, que c’est parmi les croyants les plus convaincus, les plus rigoureux, qu’on trouve les alliés les plus zélés du coronavirus. Pour parler clair, l’influence des intégristes de tout poil et tout plumage sur la santé des mortels de la planète est tout bonnement catastrophique.

En France, on le sait, c’est un rassemblement évangélique de trois jours tenu dans l’est du pays, avec force embrassades, la «Porte ouverte chrétienne», qui s’est montré le plus efficace propagateur de la maladie sur le reste du territoire, quand les pèlerins illuminés par la grâce sont rentrés dans leurs pénates en portant, en plus de la bonne parole, de fortes doses de coronavirus dont ils ont comblé leurs proches et leurs voisins. La «Porte chrétienne» en question était en fait ouverte pour la maladie…

Encore ce rassemblement s’est-il déroulé au début de l’épidémie, quand la prise de conscience de la dangerosité du virus était encore faible, ce qui atténue la responsabilité des organisateurs. Mais aux Etats-Unis, d’autres sectateurs du même culte, pasteurs en tête, refusent encore aujourd’hui de se soumettre à la discipline commune et continuent de se rassembler dans leurs églises au mépris des précautions les plus élémentaires. On soupçonne même Donald Trump, quand il a annoncé que tout redeviendrait normal à Pâques, d’avoir voulu, par cette prophétie aux allures bibliques complaire à cette communauté religieuse où il trouve les plus zélés de ses partisans.

Les évangéliques, toujours… A Singapour, lit-on dans un papier de synthèse publié par les Dernières Nouvelles d’Alsace, le ministère de la Santé indique que plus de trente des tout premiers cas détectés sur l’île proviennent de deux églises évangéliques : Life Church and Missions, et Grace Assembly of God. Deux des fidèles venaient directement de Wuhan, en Chine, mais, tout à leur pieuse ferveur, ont négligé de s’isoler.

En Corée du Sud, c’est l’Eglise Shincheonji de Jésus, secte apocalyptique aux méthodes musclées, et son gourou Lee Man-hee, qui sont mis en cause. Des offices au sein de sa branche de Daegu, début février, seraient à l’origine de la propagation du virus. Mi-mars, 60% des 7 500 cas de Covid-19 sud-coréens étaient liés à la secte Shincheonji.

En Iran, les rassemblements de Qom, ville sainte, sont à l’origine d’une grande partie des contaminations. Les premiers cas ont été décelés à la mi-février mais les cérémonies collectives ont continué jusqu’à la fin du mois. L’ayatollah responsable du mausolée a refusé d’interrompre le culte en expliquant que le sanctuaire était une «maison de guérison». Un autre dignitaire iranien a déclaré au bon peuple que le virus ne pouvait pas frapper les musulmans, jusqu’à ce qu’il soit lui-même atteint par la maladie.

En Israël, le gouvernement a toutes les peines du monde à faire respecter les mesures de confinement dans les quartiers où habitent les juifs orthodoxes, qui continuent de se rendre dans les synagogues en contravention avec les règles civiles. Un chiffre a ébranlé l’opinion : la moitié des personnes hospitalisées en Israël sont issues d’une des communautés ultra-orthodoxes, alors que celles-ci comptent seulement pour 10% dans la population totale. Dans beaucoup de ces quartiers, les fidèles écoutent les consignes des rabbins et non celles des autorités. On continue de célébrer des mariages ou des enterrements en contradiction avec toutes les règles sanitaires. Comme ces croyants, souvent, ne disposent ni de la télévision, ni de la radio, ni d’Internet, le gouvernement fait diffuser ses mots d’ordre par haut-parleur. Les juifs orthodoxes sont présents aussi aux Etats-Unis. Le premier foyer virulent de la côte Est a été décelé à New Rochelle, une ville proche de New York. La majorité des personnes contaminées dans cette ville étaient liées à une communauté juive orthodoxe.

En Inde, comme le rapporte RFI, c’est à un autre rassemblement religieux, musulman celui-là, qu’on impute une grande partie des contaminations. A la mi-mars, à New Dehli, plus de 3 000 personnes ont assisté à un office du Tabligh Jamaat, une organisation de missionnaires fondamentalistes. Elles sont ensuite rentrées chez elles, transmettant le virus dans tout le pays. Quelques jours après, les autorités ont interdit tout rassemblement, mais les responsables du groupe ont poursuivi leurs activités en soutenant qu’Allah les protégeait. Aujourd’hui, plus de 10% des cas d’infection et un tiers des décès liés au coronavirus sont des participants à cette congrégation ou bien leurs proches. Et l’on pourrait encore aligner beaucoup d’autres exemples, tout aussi édifiants.

L’auteur de cette lettre ne bouffe pas du curé à tous les repas (ni de l’imam ni du rabbin). Quoique mécréant, il respecte la religion, souvent source de dévouement et d’altruisme. Il se garde de crier «croa, croa !» quand il croise un prêtre, comme on le faisait au temps du petit père Combes. Aussi bien, les églises dans l’épreuve de la pandémie font en général preuve de civisme et appellent à observer les règles édictées par les gouvernements. Ces précautions étant prises, il faut bien admettre que la religion ne joue pas toujours un rôle positif dans cette pandémie, en tout cas dans la version intégriste, qui ajoute à la pathologie des corps une pathologie de l’esprit. Partout, c’est le même raisonnement qui est tenu : s’il y a peu de malades, on rend grâce à Dieu pour la protection qu’il accorde aux croyants ; s’il y en a beaucoup, on explique le fléau par la colère du même Dieu devant le comportement impie de la population concernée.

A tous ceux-là, on conseille la lecture de ces vers, tirés d’un célèbre poème de Voltaire, écrit après le tremblement de terre de Lisbonne, que les autorités religieuses de l’époque attribuaient elles aussi à l’impiété des habitants de la ville, tout en glorifiant envers et contre tout l’infinie sagesse du seigneur, dont les voies sont effectivement impénétrables.

«Cent mille infortunés que la terre dévore,

Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,

Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours

Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,

Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois

Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »

Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :

« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

Laurent Joffrin

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1- En raison du confinement imposé pour lutter contre la propagation du coronavirus, les rassemblements sont interdits: l’image saisissante du pape François délivrant une bénédiction Urbi et Orbi… seul sur le parvis de la basilique Saint-Pierre à Rome, vendredi 27 mars, a marqué les esprits.

2- En France, c’est un rassemblement évangélique  de trois jours tenu dans l’est du pays, avec force embrassades, la «Porte ouverte chrétienne», qui s’est montré le plus efficace propagateur de la maladie sur le reste du territoire. La «Porte chrétienne» était en fait ouverte pour la maladie.

 

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 3- Iran : « Je mange le coronavirus »

Le nouveau coronavirus suscite un débat intense en Iran entre les membres les plus ultraconservateurs du clergé chiite et le gouvernement sur les mesures à adopter contre la maladie dans la République islamique.

La question divise aussi au sein même des autorités religieuses. « C’est un débat historique entre juristes musulmans qui remonte aux premiers temps de l’islam », explique à l’AFP Mohsen Alviri, universitaire et théologien de Qom, ville sainte à 150 km au sud de Téhéran et premier foyer de l’épidémie de pneumonie virale qui a déjà fait officiellement 54 morts dans le pays.

« Certains donnent la priorité aux rituels religieux, qu’ils placent au-dessus de tout, même de la science médicale », ajoute cet hodjatoleslam (rang intermédiaire dans la hiérarchie du clergé), quand d’autres « pensent qu’on peut abandonner les prières obligatoires pour sauver la vie d’un être humain ».

L’ayatollah Mohammad Saïdi, chef du mausolée de Fatima Massoumeh à Qom, lieu de pélerinage visité chaque année par des foules de chiites iraniens mais aussi étrangers, appartient à la première catégorie.

Le 26 février, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux iraniens, M. Saïdi a insisté pour que son lieu de culte reste ouvert aux fidèles. « Ce sanctuaire sacré [est] une maison de guérison », a-t-il dit, invitant les pèlerins à s’y rendre « pour guérir de leurs maladies de l’âme et du corps ».

« Effets antibactériens »

Deux jours plus tôt, le Conseil de sécurité de la province de Qom avait ordonné la suspension des prières collectives, et, en ce qui concerne le mausolée, de le désinfecter, et d’installer des barrières empêchant d’accéder directement à la tombe de la sainte, dont les parois en argent richement ornées sont habituellement touchées ou embrassées par les fidèles.

Mais une note avait ensuite été publiée sur le site internet du mausolée faisant comme si de rien n’était.

La note se réjouissait ainsi que la prière collective ait été maintenue au sein du sanctuaire « à la demande des habitants de Qom » et que les barrières installées autour de la tombe aient été rapidement enlevées.

Un autre texte sur le même site repris par les agences iraniennes comme un « communiqué » du lieu saint et désormais inaccessible, soulignait lui « les effets antibactériens de l’argent ».

Après la passe d’armes entre les autorités et le mausolée de Qom, le ministre de la Santé, Saïd Namaki, a annoncé le 26 février au soir des restrictions à l’entrée des lieux saints chiites.

Le gouvernement a cependant dû composer, a-t-il laissé entendre, indiquant qu’il avait fait des propositions […] plus strictes » que celles finalement retenues.

Désormais, selon la décision annoncée par M. Namaki, les fidèles n’entrent plus dans les lieux de pélerinage qu’à la condition qu’on leur fournisse « du liquide désinfectant pour les mains, une information adéquate (sur la maladie), des masques, et qu’ils se déplacent, c’est-à-dire qu’ils ne se regroupent pas, mais simplement qu’ils prient et qu’ils partent ».

Alors que fleurissent les messages de prévention dans les rues et à la télévision, les autorités ont, fait rare, annulé la grande prière hebdomadaire musulmane du vendredi à Téhéran et dans d’autres villes du pays, comme Machhad, important centre de pélerinage chiite.

« Je mange le virus »

« Rien ne justifie la clôture de ce devoir divin », a critiqué l’ayatollah Ahmad Alamolhoda, imam de la prière de cette ville du Nord-Est du pays cité par l’agence officielle Irna.

L’hodjatoleslam Mohammadréza Zaéri estime au contraire que, « si les médecins spécialistes recommandent que la prière collective soit temporairement suspendue ou que l’affluence dans les sites religieux soit réduite, alors cette recommandation doit être suivie. »

« Si quelqu’un devait être contaminé par la négligence [d’un clerc], alors [celui-ci] serait assurément responsable sur le plan religieux », ajoute ce journaliste sur sa chaîne Telegram.

M. Zaéri a tenu ces propos avant que l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique, s’invite dans le débat en louant le travail « très précieux » des médecins et infirmières, et émettant l’espoir que leur dévouement permettrait « d’éradiquer bientôt le sinistre virus ».

Mais dans une autre vidéo virale, Jaafar Ghafouri, militant d’une branche du chiisme rejetant la République islamique, apparaît en train de lécher la tombe de l’imam Réza à Machhad, en déclarant : « Je mange le virus afin de vous rassurer et que vous continuiez de venir au mausolée. »

Plusieurs médias iraniens ont annoncé dimanche son arrestation.

A Qom, le grand ayatollah Safi Golpayégani a publié samedi une fatwa appelant la population à « tenir compte » des recommandations du ministère de la Santé.

Qu’en sera-t-il du pèlerinage à La Mecque : le juteux business qui alimente les caisses du royaume saoudien ???

Sélectionné par Habib Trabelsi