Au pays de mollahs , danser sur Instagram est un « crime »

Une adolescente de 18 ans a été arrêtée par la cyberpolice iranienne, provoquant un grand élan de soutien de la part de la population.

Elle est devenue une star en République islamique. Avec 600 000 abonnés sur sa page Instagram – l’un des derniers réseaux sociaux non censurés en Iran –, Maedeh Mahi (de son vrai nom, Maedeh Hojabri) connaît, à 18 ans, une retentissante notoriété. Ses vidéos, où l’on aperçoit l’adolescente iranienne exprimer dans sa chambre ses talents de danseuse, sur des tubes occidentaux comme iraniens, sont chaque fois visionnées par plusieurs milliers d’internautes, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, où vit une importante diaspora. Ils viennent rappeler le goût des Iraniens pour la danse, comme l’ont d’ailleurs récemment montré les milliers de supporteurs iraniens présents à la Coupe du monde en Russie.

Comme nombre de jeunes Iraniens, dont 24 millions disposent d’un compte Instagram, Maedeh Mahi s’y affiche sans voile. Mais elle va encore plus loin en dévoilant son nombril et en filmant son déhanchement oriental, pour le plus grand plaisir de ses nombreux abonnés. Rare espace de liberté sur lequel se ruent les Iraniens, Instagram était jusqu’ici relativement épargné par les autorités. En pleine rue, le foulard islamique est obligatoire dans l’espace public, et la danse interdite. Les prestations de Maedeh Mahi lui vaudraient donc une arrestation et elle s’exposerait à une amende, une peine de prison, ou même des coups de fouet.

« Des actes immoraux »

Or, le compte de Maedeh Hojabri est aujourd’hui fermé. Et la jeune femme de 18 ans est réapparue vendredi dernier… sur la télévision d’État de la République islamique, dans une émission intitulée « Fausse Route ». Vêtue cette fois d’un tchador noir, le visage flouté, la jeune femme déclare, en pleurs, « regretter » la publication de ses vidéos et avoue avoir été rétribuée, « une ou deux fois » par des musiciens pour diffuser leur œuvre. « Je savais qu’il était interdit de danser, mais je n’ai rien posté de mal sur ce compte », s’écrie-t-elle, inconsolable. Et le « journaliste », en véritable interrogateur, de lui demander, avec gravité : « Mais quel était votre but ? »

En sanglots, Maedeh Mahi lui assure « ne pas [avoir] cherché à encourager » ses compatriotes à l’imiter. « Je ne dansais que pour moi », insiste-t-elle, avant de confesser : « Je ne voulais pas attirer l’attention… mais des personnes m’appréciaient et c’est pour cela [que je l’ai fait] ». Trois autres instagrameurs – deux filles et un garçon – apparaissent dans le programme, où ils affirment tous regretter leurs « actes immoraux ».

Confessions forcées

Contactée à Téhéran, Sadra Moaghegh, responsable de la rubrique société du quotidien réformateur Shargh, indique au Point que les quatre instagrameurs impliqués « ont été arrêtés il y a plus d’un mois par la cyberpolice iranienne (Fata) et n’ont été détenus qu’un jour avant d’être libérés ». Au lendemain de la diffusion de ces « confessions forcées » – une pratique courante en République islamique pour discréditer les opposants –, le chef de la cyberpolice de Téhéran, Touraj Kazemi, a annoncé que les personnes qui publieraient des contenus « indécents » en ligne seraient poursuivies pour « crime contre la sécurité nationale ».

Créée en 2011, la cyberpolice est une branche de la police nationale iranienne, dont le directeur est choisi par le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, véritable chef de l’État iranien. En 2012, son précédent directeur, Mohammad Hassan Shokrian, avait été démis de ses fonctions après la mort en détention du blogueur Sattar Beheshti. Aux mains des conservateurs, la Fata échappe au contrôle du gouvernement du président « modéré » Hassan Rohani, qui avait pourtant promis lors de son élection en 2013, et de sa réélection en 2017, d’améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays. Or, comme le soulignait en début d’année au Point l’illustre avocate des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh, le respect des droits de l’homme, qui dépend en Iran en grande partie du pouvoir judiciaire (aux mains des conservateurs), n’a enregistré aucun progrès.

Renforcés par Donald Trump

Renforcés par le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, qui a porté un coup sévère au camp du président Hassan Rohani (la monnaie iranienne a perdu plus de 50 % de sa valeur en six mois et l’inflation repart à la hausse), les conservateurs iraniens ont les mains d’autant plus libres pour faire taire toute voix dérangeante à l’intérieur du pays. Le 8 juillet dernier, Shaparak Shajarizadeh, une Iranienne de 42 ans qui avait osé enlever son foulard en public dans le cadre de la campagne des « Mercredis blancs » visant à protester contre l’obligation de porter le voile, a été condamnée à deux ans de prison. Un mois plus tôt, Nasrin Sotoudeh, Prix Sakharov 2012, qui représente plusieurs de ces femmes (dont Shaparak Shajarizadeh), a été arrêtée. Toujours en prison, elle est poursuivie pour « complot, rassemblement et propagande contre le système ».

« La situation à l’intérieur du pays fait qu’ils [les conservateurs] veulent empêcher tout changement, quel que soit le prix à payer », confie au Point un influent blogueur iranien qui a requis l’anonymat. « Par conséquent, il leur importe peu d’arrêter ou d’emprisonner une fille de 18 ans. »

Pourtant, loin de dissuader les internautes iraniens, les « confessions » de Maedeh Hojabri semblent avoir provoqué l’exact effet inverse. La diffusion de l’émission Fausse Route sur la télévision d’État a provoqué un véritable émoi sur les réseaux sociaux, et popularisé le hashtag Beraghs_ta_beraghsim (« Danse pour que nous continuions à danser »). En soutien à Maedeh Mahi, de nombreux Iraniens, des anonymes et des personnalités d’Iran et d’ailleurs, ont emboîté le pas à la jeune femme et se sont filmés en train de danser, avec, certes, moins de grâce…