Tunisie : de la banalisation du mal institutionnel

abdennabi ben bayaNous les tunisien(ne)s avons beau manifester notre choc et dégoût vis-à-vis des dépassements outrageants de la part des représentants de la justice contre des citoyens désarmés, nous restons assujettis sous le joug d’une oppression qui ne dit plus son nom puisqu’ elle se banalise. Si nous comptons le nombre des « délits » commis par les soi-disant représentants de la loi depuis 2011, nous serons sidérés par la déraison qui ronge le système. En lisant Kafka, je remarque avec effroi à quel point ce qu’il évoquait au milieu du siècle précédent est aujourd’hui senti en deçà de notre réalité vécue.

Combien de fois avons-nous crié au scandale quand la « justice a rendu son vertict » injuste et affolant. Des criminels, des terroristes, des violeurs ont lapidé la dignité, l’honneur de citoyens victimes et se sont vus innocentés par nos juges. D’autre part, des journalistes, des cadres de la police, des militants de la société civile ont été condamnés sans que personne ne bouge hormis les quelques rassemblements de soutien honteux.

Hier, c’est le tour d’un couple adulte quadragénaire et tous les deux cadres d’entreprises internationales se sont vus maltraités, violentés, emprisonnés par des policiers dont nous connaissons l’origine, dont l’appartenance partisane islamiste ne fait aucun doute. Notre chef de gouvernement, Youssef Chahed, en qui la majorité a confiance et dont on ne soupçonne l’intégrité, reste muet. Il devrait comprendre que ce qui se passe n’honore pas sa fonction de dirigeant « suprême », que cela est la preuve assourdissante qu’il ne gouverne pas. Si des responsables dans les institutions qu’il dirige agissent d’une manière aussi rétrograde, ils sont en train d’agir contre lui. IL DOIT SAVOIR CECI : le danger qui le guette vise à contrecarrer le soutien populaire dont il jouit. Le peuple (ou la partie intègre de ce peuple) a le devoir de le lui dire mais nullement le droit d’agir à sa place. il ya encore des journalistes, des intellectuels, des avocats et juges intègres en Tunisie. IL FAUT CRIER ENCORE ET ENCORE AU SCANDALE. C’est au chef du gouvernement et au président de la république de mériter leur fonction. Quand le système judiciaire est « pourri », c’est l’apocalypse politique, c’est l’effondrement de l’état. L’histoire l’a montré à mille occasions et multiples reprises.

Quand à moi, je suis resté muet devant ces outrages institutionnels pendant 5 jours. Au couple sous les verrous, condamnés par la juge de la haine, je dédie ce poème qui reste en deçà de l’expression du témoignage contre ce crime odieux du système judiciaire tunisien.

CRIME D’AIMER

Deux amoureux comme on rêve
Tissent leur passion au-delà des frontières
En tendres sensations lors d’une rencontre brève.
Le temps s’immobilise pour faire durer la prière.
L’amour est leur nation, l’amour, leur religion.
Du coup, le cataclysme, le choc, la déraison.
Des policiers véreux, mal dans leur peau pourrie,
Ont fait tout pour abattre ce qui reste insoumis
Aux nuits castrées du vide de leur envie vicieuse.
Ils ont ainsi lapidé la sainte foi amoureuse.
La juge inculte, de suite, a décidé de prononcer le crime :
L’amour est accusé, s’aimer est un délit.
Dans chaque chuchotement, chaque toucher intime,
La loi catégorique évoque l’interdit.
Si l’amour est maudit, cultivez l’excision
Du dire juste et vrai, des nobles émotions.
J’ai honte d’avouer ma honte d’être humain
Dans ce pays, nous sommes les agneaux de demain.

Abdennebi Ben Beya

Illustration haut de page : « Baiser » de Rodin