Marche arrière : Tunisie 1920 et Tunisie 2017

Essoussi Kamel

Essoussi Kamel

Mon grand père était un grand théologien bardé des plus hauts diplômes de la Zeitouna de l’époque et pourtant, il ne se gênait pas au milieu de sa riche bibliothèque en livres d’astronomie et en manuscrits du Coran d’égrener quelques notes sur son luth typiquement tunisien, d’être tout le temps en fête , de revêtir ma tante d’une jebbaa et de l’emmener à l’école. ça se passait en 1920. .
Mon père était imam khams, imam cool qui apprenait à la fois le coran et les poèmes d’Alfred de Vigny par coeur. Cela ne le génait nullement de sauter l’aïd el kebir qu’il jugeait trop enquiquinant et même de balancer quelques réflexions drôles sur Dieu qui aurait du gratifier Ismael – nous dit il,- d’un bon et gros mérou son mets préféré au lieu d’une bête aussi lourde à gérer qu’un mouton , . ça se passait dans les années 60.
Mon voisin est imam portant la barbichette et une djellaba à l’immaculée blancheur pomponné à l’odeur du 3itr. Il est tout le temps derrière toi à te répéter la même rengaine « essalatou imad eddine » et à t’apprendre que se laver le sexe avec la paume de la main est un motif légitime d’annulation du oudhou rappelant au passage le zollat du tortionnaire envoyé dans la tombe pour te taper dessus si par hasard tu ne le touchais pas du dos de la main aux convenances de Abou Hourayra . Mon voisin est imam savant « moudarrass » sur la fraternité de l’aïd et l’amour d’autrui qui te vaut des vierges dans le paradis mais n’oublie pas à la fin de son discours de conseiller ses fidèles de se souhaiter bon aïd sans serrer la main sexe des femmes. Lui ne sait ni chanter ni jouer du luth, ni siffloter un petit air et encore moins lire ou réciter Alfred de Vigny…ça se passe en 2017

Essoussi Kamel

Illustration haut de page : le musicien Khemaïs Tarnen