L’argent du Qatar au secours de Tariq Ramadan

tariq ramadanSur les plateaux des télévisions en Suisse, l’ancien bâtonnier genevois Marc Bonnant s’en prend assez fréquemment à l’islam « conquérant et prosélyte ». Après les attentats de Paris en 2015, l’avocat appelait à « désigner l’ennemi ». C’est pourtant vers lui que vient de se tourner Tariq Ramadan pour assurer sa défense dans la Confédération. Après La Tribune de Genève, Le Temps et plus récemment Le Matin dimanche ont recueilli des témoignages accablants de plusieurs des anciennes élèves de l’islamiste. Des adolescentes reconnaissent avoir succombé aux avances insistantes de Tariq Ramadan, lorsqu’il était professeur de français et de philosophie dans le secondaire à Genève, dans les années 80 et 90. Certes, Marc Bonnant ne défend pas le prédicateur, mais l’homme soupçonné de turpitudes. Mais « la situation ne manque pas d’ironie », s’amuse le journal Le Temps.
Autre source d’étonnement : comment Tariq Ramadan, qui affirme n’avoir qu’un salaire de professeur à Oxford, peut-il s’offrir les services d’un ténor du barreau genevois (1) ? Élu meilleur orateur francophone vivant lors de la Nuit de l’éloquence en 2016, Marc Bonnant plaide davantage des dossiers liés à l’impératrice d’Iran, aux banquiers Edmond Safra et Édouard Stern, ou à l’ex-femme de l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev. Dit plus vulgairement, ses honoraires ne sont pas à la portée de toutes les bourses.

De grandes familles qataries organisent des quêtes en faveur de Tariq Ramadan

Depuis octobre dernier, le ténor du barreau genevois défend également les intérêts de Nasser Al-Khelaïfi, le président qatari du Paris Saint-Germain, soupçonné de corruption active. Interrogé par Le Point sur cet engagement récent en faveur de ces deux personnalités, Marc Bonnant évoque une pure coïncidence. Il n’existe d’ailleurs aucun indice qui pourrait laisser penser que les défenseurs de Tariq Ramadan en Suisse, comme en France, puissent entretenir un lien quelconque avec Doha. Contrairement à l’université d’Oxford, qui a fini par mettre en congé son professeur d’études islamiques contemporaines, le Qatar se refuse à toute déclaration officielle sur ce dossier.
Cela ne signifie pas pour autant que rien ne bouge dans le petit émirat. « L’aide ne viendra pas du pouvoir lui-même, mais de grandes familles qui organisent des quêtes en faveur de Tariq Ramadan. Elles recueillent de l’argent liquide pour que rien ne puisse être prouvé », souligne un haut fonctionnaire qatari, qui se présente comme conservateur, respectueux de la religion, mais hostile aux Frères musulmans. Depuis juin, l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis ont rompu avec le Qatar, lui reprochant d’être l’un des principaux bailleurs de fonds de la Confrérie. Doha a notamment soutenu l’ancien président égyptien, le frère Mohamed Morsi, renversé suite à des manifestations monstre en juillet 2013.

L’étoile de mer plutôt que l’araignée

Auteur de Qatar, vérités interdites, Emmanuel Razavi a travaillé trois ans pour la télévision nationale qatarie (2). Il a croisé Tariq Ramadan à Doha, notamment dans l’un des restaurants du souk Al Wakif. « Il a été le tuteur de la Cheikha Moza, l’épouse de l’ancien émir jusqu’en 2013, et la mère de l’actuel souverain Tamim ben Hamad Al Thani. Ramadan jouit là-bas d’une assez grande aura. Il est considéré comme un maître à penser », souligne le journaliste. La Cheikha Moza a favorisé la création du Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique, dirigé depuis 2012 par Tariq Ramadan.
Durant des décennies, la Confrérie des Frères musulmans, créée par Hassan Al-Banna, le grand-père de l’islamologue, était dirigée par des octogénaires installés au Caire. À cette structure pyramidale, le Qatar a substitué récemment une sorte de « frérosphère islamique », comprenez un courant de pensée et d’action, mais sans structure centralisée. « Le frère Jassim Sultan forme à Doha, dans la plus grande discrétion, de petits groupes de jeunes appartenant à l’élite musulmane », souligne Emmanuel Razavi. Ces jeunes reviennent dans leurs pays et noyautent les organisations, font de l’entrisme dans les associations, dans les entreprises.
Le nouveau visage de la Confrérie est révélé dans un ouvrage en anglais, The Starfish and the Spider (3). Plutôt que l’araignée, qui peut être écrasée d’un coup de talon, comme en Égypte, mieux vaut l’étoile de mer, dont les branches repoussent quand on les coupe. Dans ce nouveau schéma opérationnel de la Confrérie, « Tariq Ramadan, tout en n’appartenant pas officiellement aux Frères musulmans, est considéré comme l’un des relais en Europe », ajoute l’auteur de Qatar, vérités interdites.

Illustration coté gauche : Tariq Ramadan vu par Charlie Hebdo

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(1) Tariq Ramadan : « Je ne reçois aucune rémunération du Qatar », Libération, 27 avril 2013.
(2) L’Artilleur, 2017, 198 pages.
(3) Ori Brafmann et Rod Beckstrom, Portefolio.
* Ian Hamel est l’auteur de La Vérité sur Tariq Ramadan (Favre, 2007).